J’essaie d’écrire comme une onde infrarouge.
J’essaie d’écrire comme on décoche une flèche.
J’essaie d’écrire comme une primate extraterrestre en
sous–vêtements, qui fume sa pipe toute la journée
dans la forêt dégonflée.
M.R.
« L’œil est une merveille de la nature » et celui de Maggie Roussel1 scrute, interroge le monde sans relâche, curieux.
Toujours à vif, comme il se doit, quand on l’a bien ouvert, l’œil, chez Roussel, est aussi souvent plein de tendresse, amusé, angoissé, rarement au repos, puisque tant de choses en ce monde le sollicitent. Même l’enfant, qui tourne de l’œil au milieu du salon de ses parents, a des révélations d’images à faire; tout comme un homme, décapité par un drone, gardera les yeux ouverts sur son corps échoué par terre. Une mère insomniaque ne peut s’empêcher de voir clignoter, dans l’obscurité de sa maison, tous ces objets familiers qui l’entourent (modem, routeur, micro-ondes, téléphone), car rien ne dort vraiment au Royaume des technologies. À moins qu’on ne débranche tout soi-même, surtout si on est une nymphe, la nuit venue, qui veille sur son foyer ? Surprendre ses voisins en train de faire l’amour parce qu’ils n’ont pas baissé leurs stores : voilà encore un dernier spectacle à voir avant de regagner son lit.
À l’œil nu est le plus récent recueil de Maggie Roussel (Le Quartanier, 2017), composé de récits brefs, de dialogues et de poèmes. Le regard attentif qu’elle pose sur la folie d’un monde « à bout de souffle » n’est plus ni vierge ni resté replié dans sa poche. D’ailleurs, qui peut rester témoin (du regard) de ses violences sans souffrir ; tranquille, devant tant d’images de pays en guerre ?
Sûrement pas la jeune fille-ailée de « ANTICHAMBRES », pas plus que celle du poème « UNE FILLE DU SIÈCLE » :
Car une fille de quoi, une fille de ce siècle,
j’en connais au moins une, oui,
une fille pareille,
c’est drôle,
une fille pareille
a salivé, à travers ses dents toutes blanches,
a laissé monter au bord de ses lèvres brillantes
une salive claire
qui a fini par couler hors de sa bouche
devant quelques nouvelles horrifiantes diffusées
sur l’écran.
Ce recueil baroque, magnifiquement écrit, a bien entendu pour thème obsédant le regard.
Et il y en a de toutes sortes : inquisiteur, voyeur, voyant, aimant, vengeur, artificiel, aveugle, épouvanté, cerné, fuyant…
Vous l’aurez compris : l’œil nu, cette drôle de caméra métaphysique, capte les soubresauts du siècle, avec son « avalanche d’images » ; et projette, « en flot continu », celles qui proviennent de la cinémathèque intérieure de Maggie Roussel. Lire À l’œil nu, c’est prendre conscience de la pluralité des perspectives qui gouvernent notre subjectivité, de la présence de ces nombreux yeux qui voient par les nôtres.
« Désencombrer le regard », dit-elle ?
Mon œil ! Pas tant qu’il est vivant !
1 Pseudonyme de Maggie Dubé, professeure de littérature au cégep Edouard-Montpetit.