Nos collègues Shanti Van Dun et Mathieu Blais sont tous deux finalistes des Grands Prix du livre de la Montérégie. Plus de détails ici.
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Franchement
Francoeur est la dixième œuvre publiée par Mathieu Blais, écrivain et professeur au Département de littérature. C’est le récit d’un écorché vif de la vie qui illumine le quotidien de ses codétenus, en particulier Bronco, compagnon de déroute de Francoeur et narrateur de cette palpitante histoire de violence, de dépossession et d’amour. Nous avons rencontré notre collègue à l’occasion de cette parution.
Le blogue : Où situer Francoeur dans l’ensemble de ton œuvre ?
Mathieu Blais : En pleine continuité avec ce qui a précédé. Ce qui m’intéresse, ce sont les opprimés, la marge. J’ai débuté ma « carrière » comme poète, dans la marge de la marge si l’on veut, et j’ai toujours cherché à investir les figures de la marginalité et de la pauvreté, les maganés de la vie. Francoeur est le deuxième de trois livres sur la violence. Sainte-Famille traitait de violence conjugale, Francoeur traite de violence amoureuse, le dernier traitera de violence révolutionnaire. Le mot révolutionnaire fait défaut aujourd’hui au Québec, n’est pas véritablement investi. J’explore toujours le tumulte intérieur des colonisés. Du black bloc à la femme victime de violence conjugale, la violence renvoie à notre aliénation. Encore aujourd’hui nous restons profondément colonisés, mais ancré dans la question des classes sociales, en littérature en tout cas, cet état est porteur sur le plan narratif.
Le blogue : Vois-tu un lien entre ton travail de romancier et ce que des critiques ont appelé la littérature de la chainsaw ?
M.B. : Peut-être dans le réinvestissement de la figure du territoire, de sa langue, mais je n’écris pas en fonction d’une soi-disant école, non. De manière générale, quelque chose se libère progressivement en moi et je me retrouve comme conteur de plus en plus. Si on veut chercher un intertexte à Francoeur ce serait Novecento : une même manière de parler, le recours au huis clos, l’imagination d’un ailleurs, mais le réalisme magique en moins. Comme pour le personnage éponyme du livre de Baricco, c’est aussi l’idée d’une bonne histoire à raconter. Le point de départ de Francoeur, c’est un fait divers : il y a dix ans un camion était lancé dans le bunker des Hells à Sorel et prenait feu.
Le blogue : Quel rôle joue la violence ?
M.B. : Dans certains cas, la violence est souvent nécessaire pour briser le cycle de la répétition et de l’aliénation (Fanon) et de la violence infligée à soi-même et à ses frères (c’est le cas de Francoeur). Depuis les années 1940 on assiste à une fragmentation des luttes identitaires, par ailleurs absolument nécessaire, mais qui dissout tout projet national. On parle beaucoup d’intersectionnalité mais quel en est le point focal ? Est-ce porteur d’un projet de société ? Je suis un anticapitaliste primaire (rires). La violence dans nos sociétés est désormais balisée par la classe moyenne qui est une sorte de fausse classe – ni pauvre ni riche, ni tout à fait locataire ou propriétaire. Toujours est-il que mon rapport au social, et à la violence en particulier, s’exprime par des figures de pauvreté et de criminalité et Francoeur est une histoire de survivance. Bronco et Francoeur sont pris dans un système qui les broie, ils vont s’utiliser l’un l’autre, c’est leur réciprocité qui donne un sens à l’histoire. Les jeux d’alliance et d’amitié ne font qu’un temps dans un contexte d’exploitation.
Le blogue : Quel est ton rapport au travail d’écriture ?
M.B. : J’ai eu la chance extraordinaire de bénéficier d’une résidence d’écriture à l’été 2017 à la Bibliothèque Raymond-Lévesque où j’ai été confiné à un bureau avec un horaire serré pendant quelques mois. Un écrivain dans une cage de verre ! (rires) Et j’ai adoré cela car je suis très discipliné. Je dois avoir un fasciste intérieur (rires). En temps normal, il m’est relativement difficile de réserver du temps à l’écriture compte tenu de ma vie familiale et de mon travail de prof. La résidence m’a fait un bien fou.
Le blogue : As-tu écrit Francoeur rapidement ?
M.B. : Oui, pratiquement d’un seul jet. La première version fut écrite de manière farouchement spontanée. Dans Sainte-Famille, je m’étais intéressé au flux de conscience des trois personnages, et cela a ouvert quelque chose dans ma pratique d’écriture. Francoeur a été comme un robinet ouvert qui n’arrêtait plus de couler. À la limite, j’aurais publié Francoeur comme je l’ai d’abord écrit, soit sans ponctuation, mais on m’en a dissuadé (rires). Il y a quand même l’exigence du narratif, d’un certain public lecteur, même minimal.
Le blogue : Vises-tu un plus grand public, davantage de reconnaissance ? La littérature peut-elle encore changer le monde ?
M.B. : Ce sont deux questions différentes. À la base je ne suis pas quelqu’un de « public ». Ça m’a pris un doctorat pour me rendre compte que l’université n’était pas faite pour moi, ça m’a pris dix livres pour me rendre compte que l’écrivain « public » ce n’est pas vraiment moi non plus. Ce qui n’enlève rien à l’importance d’élaborer des représentations du monde qui influenceront le lectorat. C’est la même chose pour le professeur que je suis. J’espère agir comme révélateur mais les étudiants ont du chemin à faire et je ne sais pas si l’institution collégiale peut à elle seule faire d’eux des lecteurs. Mes espoirs sont-ils moins élevés qu’au début de ma carrière ? Peut-être mais on cherche toujours son cachalot blanc, et flamber les consciences reste encore mon objectif. Je suis plus anarchiste qu’indépendantiste finalement (rires).
Le blogue : Es-tu un lecteur de littérature policière ou criminelle ?
M.B. : La littérature de genre ne m’a pas tant nourri mais j’aime un certain type de romans noirs. Je crois que je vais de plus en plus dans cette direction. J’aime ce que la littérature révèle du social dans ce qu’il peut avoir de sordide. La littérature de genre qui a des qualités littéraires, qui fait parler le social et qui est un plaisir de lecture aussi, pourquoi pas ! Je lis actuellement du Tony Hillerman, qui donne dans l’ethnopolar. Je suis surtout un grand lecteur d’Edward Abbey, Charles Bukowski, Tony Morrison. Le méridien de sang de Cormac McCarthy, par exemple, est un roman de fou – toute son œuvre est à lire, de toute façon. Avons-nous cela au Québec ? Avec le temps, comme plusieurs, je retourne à une certaine américanité. Que ce soit Mistral, Hamelin, Archibald, Grenier ou la dite littérature de la chainsaw, nous sommes très américains dans la façon que nous avons de parler de la nature, de nous raconter. Mais, pour parler plus strictement de mon maître à penser, je cherche encore le Thoreau québécois (rires).
(propos recueillis par Robert Saletti)